vendredi 23 mars 2012

Bernard GRASSET - Secrets défense

BERNARD GRASSET
S E C R E T S D É F E N S E
L’ART MILITAIRE ET LA SÉCURITÉ FONT BON MÉNAGE. La surprise
est la condition nécessaire de toute action réussie. Tout état major
doit garder secrets la composition de ses forces, la qualité de ses
armements, ses plans d’attaques et de défense. Comme en un jeu de
miroirs, l’autre partie doit percer le secret, déjouer et contrarier les
plans de l’adversaire.
De Sun Tseu à Clausewitz, en passant par Machiavel, la littérature
abonde en ce sens et étend le secret, la surprise et la dissimulation à toute
action humaine.
Le secret de la Défense nationale est nécessaire, il doit être protégé.
Il doit être défendu. Et ceux qui le transgressent ou l’utilisent à des fins
contraires à la sécurité du pays doivent être punis. Encore ne faut-il pas le galvauder.
Souvent dévoyé, il a été longtemps perçu comme une pratique de
pouvoir arbitraire avant l’intervention du législateur au siècle dernier.
Jadis et naguère, son évocation a parfois servi des causes très éloignées
de son objet réel. De la condamnation du capitaine Dreyfus aux écoutes
de l’Élysée, en passant par l’assassinat de Ben Barka, la liste des errements
regrettables et souvent criminels en est la triste démonstration.
Dès lors, au-delà des aspects médiatiques et des polémiques portant
sur ces cas particuliers, au-delà de la nécessité de mettre fin à l’usage
abusif d’une mention qui a trop souvent servi à couvrir des activités ou
à cacher des informations n’ayant aucun rapport avec la défense du
pays, il convient de se poser la question essentielle : comment concilier
l’État de droit et le nécessaire secret de la Défense nationale.
Depuis quelques années, et sans doute sous la pression accrue d’une
opinion publique déconcertée par de chaotiques utilisations, le gouvernement,
avec sagesse et parfois à regret, a décidé de réformer le droit du
secret de la Défense nationale.
La loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs
a fait prudemment progresser l’État de droit, tout en respectant
le secret défense. Les refus de communication ont été rares et jamais
démentis par la Commission d’accès aux documents administratifs.
Mais le juge ne pouvait toujours pas se faire communiquer des documents
couverts par le secret de la Défense nationale.
La loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des documents
administratifs, complétée par la loi du 17 janvier 1986, a élargi les
champs des décisions individuelles défavorables devant être motivées,
en dépit d’une jurisprudence souvent bien timorée.
La loi du 3 janvier 1979 organisant l’accès aux archives publiques,
tout en restreignant les exceptions au principe de délai de trente ans a
fait progresser le droit des individus à accéder aux archives. Mais une
actualité récente nous montre à quel point il est encore aujourd’hui difficile
de consulter les archives relatives à la Première Guerre mondiale.
La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux
libertés a su faire progresser, elle aussi, les droits de la personne, tout en
pratiquant le secret de la Défense nationale.
La loi du 10 juillet 1991 sur les écoutes téléphoniques a tenté de garantir
le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications.
La commission nationale de contrôle ainsi créée a cru pouvoir
« assurer une conciliation parfois bien difficile entre l’exigence de respecter
davantage la vie privée et la nécessité de mieux protéger la sécurité
des institutions démocratiques contre les graves périls qui les menacent».
Écoutes sauvages émanant de particuliers ou de services divers
et dérives partisanes ou courtisanes (Mlle Carole Bouquet en sait
quelque chose) en ont quelque peu écorné la crédibilité.
L’ensemble de ces réformes ne concernait pas les fonctions régaliennes
de l’État qui restaient à l’abri de tout contrôle.
La loi du 8 juillet 1998 instituant une Commission consultative du
secret de la Défense nationale chargée de donner un avis sur la déclassification
et la communication d’informations ayant fait l’objet d’une
classification en application des dispositions de l’article 413.9 du Code
pénal est la première loi créant en France un organisme indépendant du
pouvoir politique qui peut avoir accès aux secrets de la Défense nationale.
Il s’agit là d’un premier pas, prudent sans doute, mais dont l’efficacité
contre les abus d’utilisation de la notion de secret défense reste
encore aujourd’hui à démontrer.
La représentation nationale souffre fréquemment de ces contraintes.
Les commissions d’enquête parlementaires, aux termes de l’ordonnance
du 17 novembre 1958 sont habilitées à se faire communiquer tous
documents de services, mais à l’exception de ceux qui revêtent un caractère
secret et concernent la Défense nationale, les Affaires étrangères, la
sécurité intérieure et extérieure de l’État.
Les mêmes dispositions, rendues légèrement moins restrictives
par la loi du 14 juin 1996 s’appliquent également aux commissions permanentes.
Quant aux rapporteurs des budgets des ministères, ils sont certes
habilités à se faire communiquer tous documents de service, de quelque
nature que ce soit… réserve faite des sujets de caractère secret concernant
la Défense nationale.
Il serait temps, à l’aube du XXIe siècle, de desserrer encore un peu
plus l’étau qui protège, souvent justement, parfois abusivement, le
secret de la Défense nationale, et qui fait des représentants de la nation
des quasi-mineurs par rapport aux fonctionnaires civils et militaires censés
appliquer les lois de la République.
Encore ne faut-il pas tomber dans le piège qui ferait des parlementaires
les victimes conscientes ou inconscientes de certains services qui
pratiquent un art consommé de la dissimulation. Encore faudrait-il
aussi que les parlementaires aient, à tout instant, conscience de leurs
devoirs et de l’intérêt supérieur de la nation.
Un contrôle parlementaire des moyens et des fins des services de
renseignements civils et militaires paraît nécessaire. L’exemple britannique
d’un contrôle effectué par des parlementaires ayant eu à
connaître, dans des carrières précédentes, de leurs activités, est intéressant
à plus d’un titre.
Mais il faudrait sans doute rompre d’abord une certaine incompréhension
et atténuer l’hostilité de certains services qui vont de refus pur
et simple de recevoir des parlementaires chargés d’une enquête à l’utilisation
exquise d’une langue de bois diplomatico-policière.
L’État de droit et la protection nécessaire du véritable secret défense y gagneraient.
Mais il faut savoir raison – et suspicion – garder. Jadis un chef de service
étranger me dit avoir été entendu pendant de longues semaines par
une commission parlementaire d’enquête de son pays, dotée de pouvoirs
d’investigations bien supérieurs aux nôtres. Il ajoute : « Rassurez vous,
je ne leur ai rien dit ! »
Alors, relisons Sun Tseu et Machiavel. Et puis aussi Montaigne. Cela ne fait pas de mal.
R É S U M É
Depuis toujours, l’évocation du secret défense de la Défense nationale a souvent
servi des causes très éloignées de son objet réel. Or, dans un souci de
concilier l’État de droit et le nécessaire secret de la Défense nationale, le gouvernement
de Lionel Jospin a décidé en 1998 la création d’une Commission
consultative du secret de la Défense nationale. Chargée de donner un avis
sur la déclassification et la communication d’informations ayant fait l’objet
d’une classification en application des dispositions de l’article 413.9 du Code
pénal, cette commission est le premier organisme en France indépendant du
pouvoir politique qui peut avoir accès aux secrets de la Défense nationale.
Elle facilite l’activité de contrôle du Parlement français tant pour les
commissions d’enquête que pour les rapporteurs budgétaires vis-à-vis des
fonctionnaires civils et militaires.
B E R N A R D G R A S S E T

Sources:http://www.revue-pouvoirs.fr/Secrets-defense.html

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